Accordez-moi, Seigneur, ce vin qui est aussi nécessaire que votre précieux sang. Ce vin, sans quoi, tout ici bas est laid et maussade, ce vin qui rend la vie acceptable, et tolérables les foutus contemporains que vous m'avez données.
Léon Bloy

Ce blog se base sur les travaux de Joseph Bollery et du cher Emile Van Balberghe (+2024). Ce dernier laissera un grand manque parmi les bloyens, lui qui travailla sur Bloy jusqu’à sa mort.

Léon Bloy, Robert de Montesquiou et LA lettre en latin

Les relations entre Robert de Montesquiou et Léon Bloy nous sont connues et sont très limitées. Nous ne connaissons l'envoi que d'un seul écrit de Bloy à Montesquiou et que de quelques courriers. Le texte de ces courriers est connu par les copies d'Henry Pinard, conservées à la BnF, et aussi par le Mentidant Ingrat et le Journal Inédit. Voici donc la liste avec les références :
  1. 9 juillet 1892. (Vente Robert de Montesquiou. Paris, Drouot, Maurice Escoffier expert, 23-26 avr. 1923, n° 331.1 : autographe ; Bloy, Journal inédit, I, 128 et 129-30 : projet de lettre en latin et lettre ; Bloy, Journal, I, 27 ; copie de la main du secrétaire, 331 - Bibliothèque Nationale de France - N.a.f. 15243 – f° 14.)

  2. 12 juillet 1892. (Paris, collection Jean-Louis Debauve : autographe ; Vente Robert de Montesquiou. Paris, Drouot, Maurice Escoffier expert, 23-26 avr. 1923, n° 331.2 : autographe ; Catalogue à prix marqués, n° 58. Paris, Degrange, 1955, n° 3568 : autographe ; Vente Daniel Sickles, 13e partie. Paris, Drouot, J. Vidal-Mégret et Thierry Bodin experts, 18 et 19 mars 1993, n° 5224 : autographe ; Bloy, Journal inédit, I, 136-7 : lettre en latin « sur papier sang de boeuf » ; Bloy, Journal, I, 30 ; copie de la main du secrétaire, 331 - Bibliothèque Nationale de France - N.a.f. 15243 – f° 15.).

  3. 13 juillet 1892. (Vente Robert de Montesquiou. Paris, Drouot, Maurice Escoffier expert, 23-26 avr. 1923, n° 330 : autographe ; Vente Henri Leclercq [alias J. Hachelle], 4e partie. Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, Paul Van der Perre expert, 21 févr. 1948, n° 73 : autographe ; Bloy, Journal inédit, I, 137 ; copie de la main du secrétaire, 331 - Bibliothèque Nationale de France - N.a.f. 15243 – f° 12.).

  4. 14 juillet 1892. (Vente Robert de Montesquiou. Paris, Drouot, Maurice Escoffier expert, 23-26 avr. 1923, n° 331.3 : autographe ; Vente publique. Paris, Drouot, Georges Andrieux, 7 et 8 juin 1926, n° 46 : autographe ; Bloy, Journal inédit, I, 139 et 140-2 : envoyée le 15 avec un exemplaire du Saint-Graal, sans doute celui de juin-juill. 1892 contenant Le Bon Conseil ; Bloy, Journal, I, 32-3 : à la date du 15 ; copie de la main du secrétaire, 331 - Bibliothèque Nationale de France - N.a.f. 15243 – f° 17 à 24.).
Les information indiquées ci-dessus nous sont données par le Journal Inédit et Le Mendiant ingrat, qui reproduit les textes des lettres des 4 courriers, par Ralph Brauner qui travaille sur Robert de Montesquiou ainsi que par Emile Van Balberghe dans son ouvrage « En ai-je assez écrit de ces lettres, Mon Dieu ! ». 

En résumé, ces lettres nous apprennent que Bloy a demandé une aide à Montesquiou en lui proposant d'acheter la soixantaine de lettres qu'il a reçues de Jules Barbey d'Aurévilly, en se recommandant de Verlaine, que Montesquiou a déjà aidé. Il fait la demande le 9 juillet et envoie un rappel le 12.
Montesquiou décline l'offre le 13 et Bloy lui écrit alors pour le rencontrer, rencontre qui eut lieu le 13. Montesquiou « promet de [lui] chercher promptement quelqu'un qui consente » à devenir acquéreur des lettres et Bloy lui propose ses services d'enlumineurs. Il tente alors de rencontrer Emile Zola, se déplaçant jusque chez lui à Médan mais ce dernier refuse de le recevoir.
Il rentre donc à Paris et écrit la dernière lettre, très longue, à Montesquiou pour lui proposer à nouveau ses services d'enlumineurs. Cette lettre est reçue tardivement par Montesquiou qui voyageait. La réponse, datée août 92, fut envoyé de Zurich le 18 août 1892. C'est un refus. Bloy reçut cette lettre le 22 août, dût payer 50 centimes pour l'avoir. Il note ainsi dans son journal : « C'est un affable égoïste et rien de plus. Mais grand Dieu ! Il me semble que c'est un rude compte à régler quelque jour. Cette réflexion me vient que peut-être, il est l'ami de Bourget ». 

Parmi ces lettres, nous pouvons en retenir une en particulier : la lettre du 12 juillet 1892. Cette lettre est écrite en latin. C'est même l'unique lettre écrite en latin que l'on connaît de Léon Bloy, écrite par ailleurs sur papier sang de bœuf. On connaît aussi, en latin, une dédicace de Bloy à Tailhade (qui donnera lieu à un autre article prochainement) et un écrit, sa fameuse Lettre encyclique. Il commence à préparer cette lettre dès le 9 juillet, un paragraphe se trouve déjà dans son journal à cette date et le texte complet se trouve lui au 12 juillet.



Voici donc le texte de cette lettre et sa traduction quasi-complète, qui s'appuie largement sur celle de la dédicace de Tailhade qu'Emile Van Balberghe a publié (La Dédicacite, p.181) :

Parisiis 12 julii 1892.

Inclyte & solivage Comes,

Paris, 12 juillet 1892

Célèbre & solitaire Comte

Quid est quare nil mihi respondes ? Quomodo tibi non est in optatis vehementius negotium illud eximium quod suavissime, (quanquam dolenter) ante oculos tuos proposiu ?

Pour quelle raison ne me répondez-vous pas? Comment n'est-il pas pour vous, parmi les violences souhaitées, cette affaire exceptionnelle que j'ai récemment mis sous vos yeux avec amabilité (et douleur) ?

Rescribe, quaeso, ad efflagitatum singularem quo lacessivit animam tuam humilis tortor.

Répondez, je vous prie, à la demande singulière et insistante dont l'humble bourreau harcèle votre âme.

Existimatio tua praecellens in mediâ senectute poseos, sed, potissime, nobilis urbanitas viscerum tuorum, - ut divetur, - erga fratrem tuum Paul Verlaine, philomelarum in valle lacrymabili praestantissimum caput, gratis conjectionibus locum aperiebat.

Votre expérience supérieure au milieu du grand âge de la poésie, mais surtout la noble urbanité de vos entrailles, comme on dit, à l'égard de votre frère Paul Verlaine, tête éminente des rossignols dans la vallée des larmes, ouvrait l'espace à des suppositions agréables.

Reipsâ, decet te turmas optimatum antecedentem, inire misericordiam, lenitudinem, deligentiam accuratissimam in conspectu pauperum & blanditias humanitatis expletae.

Vraiment, il convient que, prenant les devants sur les foules des aristocrates, vous engagez miséricorde, douceur, attention très soutenue pour les pauvres remarquables & pour les séductions d"une humanité replète. 

Ergo nunc, recordare, obsecro, tigrinam vocem feneratoris et pericula gemmarum de quibus admonui te instanti epistola, recentiore sabbato, in aedibus tuis viae Franklin.

Donc maintenant, je vous en prie, rappelez-vous par cette présente lettre la voix rugissante de l'usurier et les périls de gemmes desquels je vous ai prévenu samedi dernier, dans vos quartiers sacrés de la rue [Benjamin] Franklin

Dignare, Domine Comes Poëta, benigniter accipere salutionem salutatoris, - extra multitudinem salutatorum, - qui dicit tibi : Salve amplius in Salvatore gentium.

Daignez, cher Maître Comte et Poète, accepter avec bonté la salutation de celui qui salue - loin de la multitude de ceux qui saluent, - et qui te dit : Salue plus amplement dans le Sauveur des nations.

Léon Bloy.

155 Rue Blomet.
Léon Bloy

155 rue Blomet.



Cette lettre vient de se vendre, hier, 7 décembre 2017, à Saintes, lors de la dispersion de la collection de Jean-Louis Debauve (1926-2016). Elle a donc les provenance suivantes :

  • Robert de Montesquiou (vente à Drouot, 23 au 26 avril 1923, n°331.2)
  • Librairie Degrange (catalogue n°58, 1955, n°3568)
  • Daniel Sickles (13 vente, à Drouot, 18 & 19 mars 1993, n°5224)
  • Jean-Louis Debauve (vente à Saintes, 7 décembre 2017, n°157)

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